Tornade Hautmont

 Tornade Hautmont

Le Noël en mobile-home des naufragés de Hautmont


Dans la nuitdu 3 août, la villede Hautmont,dans le Nord,était ravagéepar une tornade. Cinq mois après, une quarantainede familles vont passer Noël dans des mobile-homes à deux pas de leurs maisons éventrées ou rasées. Comme Gérard et Josiane.

Dans leur mobile-home de naufragés, il y a une petite crèche, un napperon, des boules rouges et des branches de sapin. Mais Noël semble si loin, devenu presque dérisoire. Si peu de goût à ça ! « M'en fiche. Le passer ici ? Sûrement pas. On ira manger en ville. Dans un bon restaurant. Dix ans que je dis ça ! »

Il gouaille, façon ch'ti, avec ce faux air d'un Jean Gabin bougon poussé à bout : « On n'a plus rien à nous. En cinq mois, on a déménagé quatre fois. Et nous voilà, au numéro 27. Y'a de quoi devenir fou. J'ose même plus regarder l'horoscope pour savoir où on sera demain. »

Gérard Naomé, 64 ans, soudeur à la retraite, est comme un lion en cage dans son mobile-home. Il tourne et vire, s'assoit, se relève, s'emporte, s'apaise. À côté de lui, fluette, avec le visage qui s'éclaire parfois d'un sourire en coin, il y a Josiane, sa femme, vendeuse en pharmacie, également à la retraite. Elle fête ce jour-là ses 63 ans.

Il tombe sur Hautmont une petite pluie glaciale. Il est dix heures du matin et c'est comme si le jour ne s'était pas tout à fait levé. La température flirte avec le zéro degré. Il y a cinq mois, dans la nuit du 3 août, une tornade et des vents soufflant jusqu'à 320 km/h avaient ravagé ce quartier populaire de la ville, provoqué la mort de trois personnes, saccagé 1 600 logements.

Dans le mobile-home, il ne fait pas plus de 15°. « C'est pas étanche, rouspète Gérard. Le vent passe partout. Et pas de chance, cette année, l'hiver est en avance. Vers le 11 novembre, on a eu des rafales à 100 km/h. J'ai pas dormi deux nuits de suite ». Par la fenêtre, on aperçoit le terrain de foot, sa tribune scalpée, un immense sapin de Noël. De l'autre côté d'une rue boueuse, il y a encore toutes ces maisons éventrées, décapitées qui donnent à Hautmont un air de ville bombardée.

Dans cette rugueuse vallée de la Sambre, on a su encaisser par le passé les crises de la sidérurgie, les « restructurations » à répétition. Mais la tornade d'août en a laissé plus d'un à genoux. En a enfermé d'autres dans un silence gris. « Il y a beaucoup de souffrance ici », murmure Madani Hannachi. Qui depuis la première heure n'a cessé de courir les décombres pour épauler les uns et les autres. Ce fondeur de 65 ans, à la retraite, est devenu le « grand frère des sinistrés ».

À la fenêtre du préfabriqué qui lui sert de permanence et de refuge, au milieu des sacs de pommes de terre à distribuer, il a affiché son numéro de portable, avec cette précision « disponible 24h/24, 7jours/7 ». Lui, il en connaît un rayon sur les désarrois qui minent le quartier. Bien sûr, il y a eu les aides, la solidarité. « Mais il leur manque la chose la plus importante, leur maison, dit Madani. Ce sont, pour beaucoup, des personnes âgées. Elles ont travaillé toute leur vie pour construire leur baraque. Et, du jour au lendemain, plus rien. »

Comme Gérard et Josiane. Depuis 1972, ils habitaient un peu plus bas, rue du Vélodrome, pas loin de ce bois qui semble avoir été pilonné. « Une maison en briques rouges, quinze mètres de façade, trois chambres, on se plaisait bien là. » Il n'en reste qu'une boîte à lettres en ferraille toute cabossée, quelques m2 de pelouse et au fond du jardin un des trois pigeonniers où Gérard élève depuis huit ans des pigeons voyageurs.

Il se rappelle la nuit du 3 août. Le dimanche, il avait participé à un concours avec ses oiseaux, il était fatigué, s'était couché tôt. Il se rappelle la fenêtre de la chambre soudain explosée, de l'eau partout, des cris. N'en dit pas plus. Dans les jours qui ont suivi la tornade, ça n'a pas traîné. Il a fait raser ce qu'il restait de la maison par les militaires.

Gérard et Josiane ont juste récupéré quelques photos, quelques papiers, des « bricoles ». Dans le mobile-home où ils vont passer les fêtes et sans doute un bon paquet de mois en 2009, rien n'est à eux. La télé, la machine à laver leur ont été offertes, même le bouquet de fleurs sur la petite table du séjour, un cadeau de la Croix-Rouge.

Seuls Urfor, le bichon, et Kirian, la chatte tigrée, semblent y avoir trouvé leur place. Le soir de la tornade, le bichon avait filé pendant deux heures et Kirian n'était revenue que trois ou quatre jours après. Aujourd'hui encore, au moindre coup de vent, ils s'affolent. Quant aux pigeons - « mes coureurs cyclistes » dit Gérard - ils sont à moitié fous. « Je les fais voler pour pas qu'ils ' graissent '. Mais ils peuvent tourner trois, quatre heures : plus de point de repère, pas un toit, pas un sapin. » Josiane dit : « Les bêtes sont plus malheureuses que nous. Parce que nous, au moins, on parle. »

Et Gérard parle, parle. Toute sa vie y passe. Un flot de mots pour noyer l'anxiété. « Courir ici et là, les paperasses. J'ai perdu sept kilos. Je me pèse tous les jours. » Son dossier d'assurances a été réglé. La maison sera reconstruite, sans doute fin 2009. Mais c'est plus fort que lui. L'angoisse le prend. « Je ne dors plus beaucoup. Les travaux, j'suis sûr, ils ne seront pas faits comme je voudrais. Et ça, ça va me mettre un coup. »


26/12/2008
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